Le contrôle des pédicules du foie pour clampage ou pour section est l’un des fondements techniques de la chirurgie hépatique. Ce contrôle concerne les pédicules afférents ou glissoniens, qui sont vasculobiliaires, et les pédicules efférents ou sus-hépatiques, qui sont exclusivement veineux. Les deux circulations afférente et efférente sont ainsi intriquées que le pédicule principal de l’une repère le plan qui sépare deux secteurs de l’autre. C’est ainsi que la veine hépatique droite, efférente, siège dans le plan de la scissure portale droite (entre les secteurs paramédian et latéral droits de la circulation afférente) et que le pédicule glissonien gauche, afférent, siège dans la scissure ombilicale (entre les secteurs moyen et gauche de la circulation efférente). Cette curiosité a un intérêt pratique évident : le pédicule attendu doit être retrouvé dans le plan scissural que l’on ouvre.
Le contrôle des pédicules afférents peut intéresser le pédicule hépatique, les pédicules lobaires droit ou gauche, les pédicules sectoriels ou les pédicules segmentaires. Le contrôle du pédicule hépatique à travers le hiatus de Winslow est en règle facile. Mais pour un clampage pédiculaire complet, il faut vérifier l’existence éventuelle d’une artère hépatique latérale gauche, qui peut nécessiter un clampage sélectif. Le contrôle des pédicules afférents plus distaux peut être fait de façon variable, en fonction du niveau de dissection des éléments vasculo-biliaires par rapport à la plaque hilaire, élément dont l’importance anatomo-chirurgicale a été depuis longtemps soulignée par les travaux de Claude Couinaud (1, 2), dont nous suivrons la nomenclature. Il y a trois voies d’abord possibles :
La première voie est la voie hilaire, intra-fasciale, qui consiste à disséquer la région hilaire sous la plaque pour contrôler chacun des trois éléments qui composent le pédicule à fins de clampage ou de section. C’est la technique « classique », probablement la plus usitée. Mais elle nécessite une dissection qui peut être longue, et expose au risque de lésion d’un élément destiné à être conservé, surtout en cas d’anomalie anatomique. Enfin, elle est difficilement applicable pour les pédicules sectoriels et elle est impossible pour les pédicules segmentaires.
La deuxième voie d’abord est la voie scissurale, extra-fasciale : les éléments sont abordés par ouverture première des scissures, en particulier de la scissure principale ; ils sont ensuite contrôlés en masse, dans leur gaine fibreuse, ce qui supprime les aléas de la dissection intra-fasciale. Cette voie d’abord, popularisée par Ton That Tung (3) est par ailleurs la seule possible pour les pédicules segmentaires. Mais elle nécessite une ouverture scissurale qui peut être inopportune ou de topographie aléatoire. Elle nécessite aussi pour éviter l’hémorragie un clampage vasculaire d’amont pendant le temps de transsection hépatique. Enfin elle est contre-indiquée en cas d’envahissement tumoral du hile (en pratique en cas d’ictère).
La troisième voie d’abord, dite supra-hilaire (4), est aussi une voie extra-fasciale, mais sans ouverture scissurale. Beaucoup moins usitée que les précédentes, elle n’est rien d’autre qu’une extension vers la droite de la manoeuvre de décollement de la plaque hilaire proposée dès 1956 par Hepp et Couinaud (5) pour aborder et dériver les voies biliaires en amont d’une sténose traumatique. Elle permet un contrôle facile et rapide des pédicules lobaires droit ou gauche et autorise une exclusion vasculaire sélective. Elle est surtout intéressante pour contrôler les pédicules sectoriels droits : leur clampage permet en effet de repérer par décoloration le plan de la scissure portale droite, qui n’a pas de repères anatomiques extra-hépatiques fixes, et permet de réaliser aisément des résections hépatiques aussi complexes que les hépatectomies centrales ou les hépatectomies gauches élargies au secteur paramédian. Mais comme la précédente, cette voie d’abord est contre-indiquée en cas d’envahissement hilaire. Le contrôle des pédicules efférents du foie peut se faire au niveau des veines hépatiques ou au niveau de la veine cave inférieure. Toutes ces manoeuvres ont beaucoup bénéficié de l’expérience de la transplantation hépatique, en particulier de la technique de l’hépatectomie totale avec conservation de la veine cave inférieure. Le contrôle extra-hépatique de la veine hépatique droite nécessite presque toujours une section préalable du ligament rétrocave ou hépatocave (6), qui peut être très volumineux en cas de cirrhose. Le contrôle extrahépatique de la veine hépatique gauche ou du tronc des veines gauche et moyenne (quasi-constant) nécessite la section préalable du ligament d’Arantius (7). Mais ce contrôle peut aussi être réalisé de dedans en dehors, à partir de l’interstice qui sépare la terminaison des veines hépatiques droite et moyenne. Le contrôle des veines hépatiques peut aussi être fait par voie intrahépatique, en fin d’hépatotomie à travers la scissure principale. Cette façon de procéder est obligatoire en cas d’hépatectomie dite « antérograde », dans laquelle la mobilisation hépatique n’intervient qu’après la transsection hépatique et la section des pédicules (8). Dans ce cas de figure, la manoeuvre du « hanging » (9) consiste à disséquer l’espace inter-hépato-cave médian de Rouvière pour y glisser un lacs ; sa traction guide le plan de l’hépatotomie, protège la veine cave et facilite l’hémostase parenchymateuse par compression. Le contrôle de la veine cave inférieure au-dessous du foie est presque toujours facile (mais attention à l’abouchement de la veine rénale gauche, plus haut que le droit). Celui de la veine cave inférieure audessus du foie ne l’est pas toujours. Le plus souvent, ce contrôle est fait en empruntant dans le vestibule de l’arrière-cavité des épiploons le plan qui sépare la veine cave du pilier droit du diaphragme, de dedans en dehors, et en effondrant la partie supérieure du ligament triangulaire droit. Mais cette voie n’est plus accessible en cas de tumeur très volumineuse, ou s’il existe un envahissement tumoral de la veine cave ou du diaphragme. On peut alors contrôler la veine cave intrapéricardique par ouverture du plancher péricardique. Pour éviter les aléas de cette voie d’abord (méso rétro-cave de largeur variable, épanchement péricardique), on peut aussi aborder la veine cave par voie de Heaney, en ouvrant le diaphragme un peu au dessus de l’abouchement de la veine cave, et en disséquant le plan virtuel qui sépare le diaphragme du péricarde.
Dans cet espace, la veine n’a pas de méso postérieur et son calibre est réduit. Dans tous les cas, le clampage de la veine cave inférieure au-dessus du foie nécessite aussi un clampage du pédicule hépatique et de la veine cave au-dessous du foie, sans oublier la veine surrénalienne droite.
References:
- Couinaud C. Principes directeurs des hépatectomies réglées. La voie scissurale et la voie extra-fasciale. Chirurgie 1980, 106 : 137-149
- Couinaud C. Surgical anatomy of the liver revisited. C Couinaud ed., Paris 1989
- Tung TT. Les résections majeures et mineures du foie. Paris, Masson, 1979
- Lazorthes F et al. Hepatectomy with initial suprahilar control of intrahepatic portal pedicles. Surgery 1993, 113 : 103-108
- Hepp J, Couinaud C. L’abord et l’utilisation du canal hépatique gauche dans les réparations de la voie biliaire principale. Presse Med 1956, 64 : 947-948
- Makuuchi M et al. Extrahepatic division of the right hepatic vein in hepatectomy. Hepatogastroenterology 1991, 38 : 176-179
- Majno P et al. Arantius’s ligament approach to the left hepatic vein and commun trunk. J Am Coll Surg 2002, 195 : 737-739
- Lai EC et al. Anterior approach for difficult major right hepatectomy. World J Surg 1996, 20 : 314-317
- Belghiti J et al. Liver hanging maneuver. A safe approach to right hepatectomy without liver mobilization. J Am Coll Surg 2001, 193 : 109-111