Le cholangiocarcinome périphérique (CCP) qui représente environ 10% des tumeurs malignes primitives du foie, est un adénocarcinome développé aux dépens des voies biliaires intrahépatiques. Contrairement au cholangiocarcinome hilaire, le CCP se présente comme une tumeur du foie, dont le diagnostic est en règle tardif, ce qui en complique le traitement et en obère le pronostic. Ce travail est basé sur l’expérience de l’hôpital de La Conception, où 95 patients ont été opérés pour un CCP au cours des 20 dernières années (1987-2007), dont 67 (71%) ont eu une résection et 6 une résection itérative. Il s’agissait de 52 hommes (55%) et 43 femmes, âgés de 61 ± 11 ans en moyenne (32-82).
Diagnostic. Les signes d’appel sont le plus souvent liés au volume de la tumeur : douleurs de l’hypocondre droit (46%), altération de l’état général (35%) ou masse palpable (29%) tandis que l’ictère est rare (9%). La découverte fortuite est plus rare (29%). Un amaigrissement est noté dans 41% des cas (moyenne : 9,3 ± 5 kgs). La biologie montre une fois sur 2 une cholestase anictérique. Parmi les marqueurs tumoraux, le CA 19.9 est augmenté dans 58% des cas précisés, et parfois très élevé (médiane : 172 UI/ml, extrêmes 40-42000). Curieusement, le taux de l’AFP est lui aussi augmenté à plus de 3N dans 24% des cas, et parfois très élevé (médiane : 72 ng/mL, extrêmes 30- 4656). L’imagerie montre le plus souvent une tumeur nodulaire unique ou multiple, qui ne se rehausse que très peu en périphérie après injection. La rétraction capsulaire par la tumeur est très évocatrice du diagnostic de CCP. Mais il existe aussi des formes infiltrantes péri biliaires et des formes bourgeonnantes intra biliaires, responsables les unes et les autres d’une dilatation des voies biliaires en amont, voire d’un ictère si la convergence est concernée. Dans tous les cas, le CCP est une tumeur très infiltrante, à tropisme biliaire, vasculaire et lymphatique.
Le diagnostic histologique exact par biopsie est souvent mis en défaut : sur 48 biopsies préopératoires de notre série, le diagnostic formel de CCP n’a été porté que 19 fois (40%), en raison de la difficulté de distinguer un adénocarcinome primitif d’un adénocarcinome secondaire, voire d’un CHC fibrolamellaire. L’immunohistochimie peut être contributive (le CCP est CK7+, CK20-, CK19+). Mais, pour éliminer une métastase, il est souvent utile de vérifier l’absence de tumeur digestive, rénale ou mammaire. La place du petscan dans ce bilan n’est pas clairement définie aujourd’hui. Traitement. Le seul traitement efficace du CCP est la résection chirurgicale complète. Mais une part importante des patients opérés (30 à 50%) ne peut bénéficier d’une résection. Dans notre série, 28 patients (29%) n’ont pas eu de résection en raison d’une extension tumorale intrahépatique (localisations contro-latérales) et/ou extrahépatique (invasion cavo-sus-hépatique, pédiculaire, ganglionnaire, ou péritonéale) prohibitive. Dans les 67 autres cas, la résection a nécessité une hépatectomie = 4 segments dans 72% des cas, dont 2 transplantations. Un élargissement extrahépatique « en bloc » a été fait de nécessité dans 27 cas (40% des résections) intéressant les vaisseaux (VCI ou veine porte) dans 18 cas, le diaphragme dans 10 cas, ou la convergence des voies biliaires dans 10 cas. Une lymphadénectomie pédiculaire a aussi été effectuée dans 40 cas (60%), le plus souvent en présence d’adénomégalies pédiculaires. Il faut noter que le taux de résécabilité (71%) est passé de 54% avant 2000 à 81% après cette date malgré l’abandon des indications de transplantation pour CCP. La résection était complète (R0) dans 50 cas (75% des résections). La tumeur mesurait en moyenne 8,9 ± 5 cm (extrêmes : 1,5-22). Il existait un envahissement ganglionnaire dans 65% des cas (26/40) ayant eu un curage ganglionnaire.
Résultats. Il n’y a pas eu de décès postopératoire après laparotomie exploratrice. Cinq patients (5/67 soit 7%) sont décédés après résection : 2 par embolie pulmonaire, 2 de sepsis, et un de détresse respiratoire après transplantation. La morbidité a été de 40%. La durée d’hospitalisation médiane a été de 12 jours (5-60). La survie à 1, 3 et 5 ans et la survie médiane a été de 70%, 36%, 32% et 21 mois après résection, contre 18% à 1 ans, 0% à 3 ans, médiane 3,5 mois en cas de non résection (p < 0,001). La survie était significativement supérieure pour les patients opérés après l’an 2000 (36% vs 15% à 5 ans, p< 0,01), et pour ceux qui n’avaient pas d’envahissement ganglionnaire (57% à 5 ans vs 6% à 4 ans, p< 0,01). En revanche, les taux de survie n’étaient pas significativement différents entre les résections élargies et non élargies, et les résections R0 et R1-R2. Des facteurs pronostiques de « survie éloignée » ont été recherchés par analyse univariée en comparant les 14 patients qui ont vécu plus de 36 mois (survie médiane 58 mois, extrêmes 40-140) aux 34 patients décédés avant 36 mois, décès postopératoires exclus (survie médiane 13 mois, extrêmes 3-36). La notion d’altération de l’état général au moment du diagnostic, le diamètre tumoral et la présence de métastases ganglionnaires étaient corrélés avec une survie < 36 mois, tandis que la notion de résection itérative était corrélée avec une survie > 36 mois. Séries récentes de la littérature comportant au moins 50 CCP opérés:
Conclusion:
Dans la littérature récente, les taux de survie à 3 ans varient en sens inverse du taux de résécabilité. Notre série montre qu’une attitude chirurgicale agressive (hépatectomies majeures, élargies, lymphadénectomies, résections itératives) peut – en l’absence de solution alterne – procurer une survie éloignée dans une proportion non négligeable des cas. De plus, l’augmentation de la résécabilité depuis 2000 dans notre pratique est allée de pair avec une amélioration des résultats. Mais le pronostic du CCP reste sombre.