Le traitement du cancer du rectum a considérablement évolué ces 30 dernières années. Le temps où toutes les tumeurs accessibles au toucher rectal étaient traitées par une amputation abdomino-périnéale est révolu. L’extension d’une tumeur rectale peut se faire dans le mésorectum ou dans la paroi du rectum lui-même, au-delà de la limite macroscopique de la tumeur.
Il est bien établi qu’au niveau du mésorectum, des adénopathies ou des dépôts tumoraux peuvent se trouver jusqu’à plus de 4 cm sous le pôle inférieur de la tumeur, justifiant la réalisation d’une exérèse d’au moins 5cm de méso sous la tumeur pour une lésion du haut rectum (exérèse partielle du mésorectum) ou l’exérèse totale du méso rectum (TME) pour les tumeurs plus bas situées.
Pour ce qui concerne l’extension intra-murale de la tumeur au-delà de ses limites macroscopiques, les choses ont évolué aussi. D’une marge de sécurité de 5cm dans les années 1970, on est passé à 2, puis 1cm, voire moins d’ 1cm dans certaines études toutes récentes.(ref. 1) Mais de quels centimètres doit-on tenir compte ? S’agit-il de la mesure faite par le chirurgien sur la pièce fraiche dans les minutes suivant la fin de la résection, ou de celle faite plus tard par l’anatomopathologiste, avant voire après fixation de la pièce dans le formol?
Une étude allemande a montré qu’une marge de 5cm mesurée in vivo, avant dévascularisation du côlon ou du rectum, ne mesurait plus que 3cm 10 à 20 minutes après l’exérèse de la pièce, avant toute fixation, et 2,15cm après fixation. (ref. 2) Ainsi, 70% de la perte de longueur survenaient dans les 10 à 20 premières minutes et les 30% restants après fixation de la pièce. Un facteur de correction d’environ x2 doit être appliqué entre une mesure faite sur pièce fraiche dès la fin de l’exérèse et celle faite après fixation.
Ces données incitent à mesurer la marge distale immédiatement après ablation de la pièce, de manière à avoir la longueur plus proche de la réalité. Le deuxième avantage de cette mesure en salle d’opération est que si la marge est jugée insuffisante, il est encore temps d’étendre la résection soit en recoupant plus bas si cela est encore possible, soit en faisant une amputation abdomino-périnéale si la conservation sphinctérienne ne parait plus possible.
Une difficulté supplémentaire peut survenir lors de l’appréciation de la marge distale après traitement néo-adjuvant. En effet, les modifications à type de fibrose induites par la radiothérapie peuvent rendre plus aléatoire la mesure de cette marge distale: la mesure est faite entre la section distale et la limite de cette fibrose dont on ne sait si elle contient encore des cellules cancéreuses. Or une étude récente a montré que même après radiochimiothérapie préopératoire, le risque de récidive locale intraluminale était corrélé à celui d’une « courte » marge distale.3 Cette étude n’a cependant pas permis de définir ce que devait être en terme de longueur une marge considérée comme « acceptable », d’autant que les mesures retenues étaient celles faites par l’anatomopathologiste après fixation.
Il est donc difficile de tirer des conclusions définitives de toutes ces études. Il parait cependant raisonnable de retenir une longueur d’au moins 1cm sur pièce fraiche, mesure faite par le chirurgien dès l’ablation de la pièce, que la tumeur ait été ou non irradiée.
Références :
1. Rutkowski A, Novacki MP, Chwalinski M et al. Acceptance of a 5-mm distal bowel resection margin for rectal cancer: is it safe? Colorectal Disease 2011; 14: 71-8
2. Goldstein NS, Soman A, Sacksner S. Disparate surgical margin lengths of colorectal resection specimens between in vivo and in vitro measurements: the effect of surgical resection and formalin fixation on organ shrinkage. Am J Clin Pathol 1999; 111: 349-51
3. Garrett MN, Weiss A, Dasgupta R, Gonen M, Guillem J, Wong DW. Close distal margin and rectal cancer recurrence after sphincter-preserving rectal resection. Dis colon Rectum 2010; 53: 1365-73