Cancers du moyen et bas rectum : comment faire une anastomose colo-anale ?

Cancers du moyen et bas rectum : comment faire une anastomose colo-anale ?

CANCERS DU MOYEN ET BAS RECTUM : COMMENT FAIRE UNE ANASTOMOSE COLO-ANALE ? Yann Parc

Lorsque après l’ablation du rectum et de son méso jusqu’à 5 cm en-dessous de la tumeur, le moignon rectal restant est de moins 4 cm de haut, faire une anastomose colorectale expose le patient à un résultat fonctionnel moins bon que si l’on réalise une anastomose colo-anale sur un réservoir en J (1). De même, si après l’exérèse totale du méso-rectum, la marge musculaire sous la tumeur jusqu’au bord supérieur du sphincter ou jusqu’à la zone de coupe du sphincter interne en cas de résection partielle du sphincter est supérieur à 1 cm, les conditions carcinologiques sont remplies pour que l’appareil sphinctérien soit conservé et une anastomose colo-anale peut être effectuée.

Quels éléments techniques peuvent influencer les résultats des anastomoses colo-anales ?

  1. La mobilisation colique.

La réalisation d’une anastomose colo-anale requiert la mobilisation complète du côlon gauche avec décrochement de l’angle colique gauche. Pour réaliser cela, il faut sectionner la veine mésentérique inférieure au bord inférieure du pancréas, libérer le told gauche, desinsérer la racine du méso-côlon transverse du bord inférieure du pancréas et faire un décollement colo-épiloïque du côlon transverse sur sa partie gauche. Afin d’atteindre plus facilement l’anus avec le côlon gauche mobilisé, l’artère colique supérieure gauche doit le plus souvent être sectionnée. La section de cette artère peut-être effectuée plus tardivement lors de l’intervention. Toutefois, sa section rapidement au cours de l’opération permet de mieux délimiter le côlon restant vascularisé du côlon dévascularisé. Cette mobilisation importante permet la réalisation d’anastomose sur le côlon descendant comme cela est préconisée. L’angle duodéno-jéjunale peut alors se trouver sous le méso du côlon abaissé et il y a alors un risque que le côlon glisse sous celui-ci entrainant alors une occlusion haute par hernie interne. Il faut donc veiller à mobiliser l’angle duodéno-jéjunale suffisamment pour pouvoir fixer le méso en arrière de celui-ci en fin d’intervention.

 

  1. Section rectale, lavage rectale, dissection trans-anale.

La dissection du méso-rectum fait suite à la section de l’artère mésentérique inférieure. Elle se fait dans le plan entre de le fascia recti et les nerfs à destinée uro-génitale. Une fois celle-ci menée jusqu’au muscle releveur de l’anus, se discute le mode de réalisation de la section rectale. Soit le pôle inférieure de la tumeur permet une section du rectum au dessus des releveurs et permet la réalisation d’une anastomose mécanique soit il sera nécessaire de faire une anastomose manuelle pour obtenir la marge carcinologique distale requise. Pour déterminer s’il est possible de faire une anastomose mécanique, il faut pouvoir mettre un clamp carré sous la tumeur et une pince mécanique. Cela implique donc de faire une petite incision sus-pubienne pour mettre en place le clamp et la pince. Une fois le clamp carré mis en place, le lavage du moignon rectal sou-jacent pourra être effectué.

Ce lavage permet de réduire le risque de récidive locale de moitié (2). Enfin, une seule pince sera requise évitant les lignes de coupe en Z connue pour augmenter le risque de fistule.

Si la mise en place d’un clamp carré et d’une pince sous la tumeur n’est pas possible, il faut alors procédé à une section par voie trans-anale. Une fois la muqueuse enlevée la section musculaire au dessus du sphincter permet de retrouver le plan obtenu par voie haute. La lumière rectale peut ici être obturé par une compresse bétadinée et fermée secondairement. Cette façon de procéder à donner l’idée récemment de commencer la dissection par voie trans-anale et de remonter le plus haut possible par cette voie. Pour certain, cette dissection peut être réalisée simplement pour d’autre afin de remonter le plus haut possible par des instruments de dissection de TEM. Il faut noter que cette dissection est difficile dans ces premiers centimètres notamment en avant et qu’elle est facilement trop large. Enfin, l’impact de cette dissection sur la fonction sphinctérienne reste encore à bien évaluer.

 

  1. Néo-rectum ou pas.

Il est possible de réaliser une anastomose colo-anale dite «différée» selon Babcock et Beaulieu. L’anastomose n’est pas réellement effectuée mais le manchon colique est laissé en place après avoir traversé l’anus. Ce n’est que secondairement, après 5 jours, que ce moignon colique va être réséqué et l’anastomose réalisée. L’objectif de cette technique est de généralement éviter la réalisation d’une stomie de protection, de laisser le temps (des 5 jours) pour voir se constituer un tissus adhérentiel entre le côlon abaissé et le manchon rectal suffisant pour éviter de voir se constituer une fistule anastomotique. En revanche, cette technique ne permet pas la réalisation d’un néo-rectum, son résultat fonctionnel est donc celui d’une anastomose directe.

Au moins 7 études ont montré que la réalisation d’un néo-rectum (actuellement un réservoir en J) ont montré la supériorité en résultat fonctionnel du réservoir sur une anastomose colo-anale directe. En effet, après la réalisation d’une anastomose colo-anale, les patients présentent des troubles fonctionnels digestifs qui ont été résumés sous le terme de syndrome de la résection antérieure du rectum. Ce syndrome est dominé par un symptôme : la fragmentation. La fragmentation consiste en fait à une évacuation de selles normales en plusieurs fois sur plusieurs heures. En effet, la colonne de selles ne peut être impactée pour être évacuée en une fois et est donc évacuée au fur et à mesure de sa progression. Ce symptôme est très désocialisant puisqu’il interdit toute autre activité pendant le temps dévolu à l’évacuation de la selle.

 

  1. Quel type de néo-rectum.

Trois techniques ont pour l’instant été décrites ; initialement le réservoir en J puis la coloplastie et enfin l’anastomose colo-anale latéro-terminale. Le réservoir en J a été décrit en France concomitamment par l’équipe du Professeur Franck LAZORTHES et par l’équipe du Professeur Rolland PARC. Plus récemment, a été décrite la coloplastie. Elle a fait l’objet de plusieurs études randomisées prospectives. Initialement, les études randomisées prospectives de petit volume montraient soit un grand avantage à la coloplastie, soit de grands désavantages à la coloplastie.

Après l’étude multicentrique prospective incluant plus de 300 patients, dirigée par la Cleveland Clinic, il a bien été montré que la coloplastie n’apportait aucun bénéfice en termes de résultats fonctionnels par rapport à une anastomose colo-anale directe et en revanche qu’une fois de plus le réservoir en J donnait un résultat fonctionnel digestif supérieur à l’anastomose colo-anale directe et à la coloplastie (3).

Quant à l’anastomose colo-anale latéro-terminale, elle a fait l’objet de deux études randomisées prospectives. Une première n’a pas montré de différence par rapport à l’anastomose sur un réservoir en J mais la puissance de cette étude est relativement faible puisque 50 patients ont été inclus dans chaque bras (4). Une seconde étude, tout aussi faible en termes de puissance a retrouvé des différentes en termes de résultats fonctionnels mais n’a pas mis en évidence de différence en termes de qualité de vie et préconise la réalisation d’une anastomose colo-anale latérale même si son résultat fonctionnel est moins bon (5). Toutefois, ces deux études sont insuffisamment puissantes pour réellement permettre de conclure quoique ce soit.

Actuellement, une grande étude multicentrique randomisée prospective est menée par la Cleveland Clinic et espère inclure plus de 300 patients pour comparer le réservoir en J à l’anastomose latéro-terminale.

Une fois l’anastomose réalisée, quelle que soit le mode effectué, excepté la colo-anale différée, il a été démontré que la réalisation d’une stomie de protection permet de diminuer le risque de désunion, et la sévérité de celle-ci (6).

 

Références:

 

  1. DehniN, Tiret E, Singland JD, Cunningham C, Schlegel RD, Guiguet M, Parc R. Long-term functional outcome after low anterior resection: comparison of low colorectal anastomosis and côlonic J-pouch-anal anastomosis. Dis Côlon Rectum. 1998;41:817-22.
  2. Matsuda A1,Kishi TMusso GMatsutani TYokoi KWang PUchida E. The effect of intraoperative rectal washout on local recurrence after rectal cancer surgery: a meta-analysis. Ann Surg Oncol. 2013;20:856-63.
  3. Fazio VW1,Zutshi MRemzi FHParc YRuppert RFürst ACelebrezze J JrGalanduik SOrangio GHyman NBokey LTiret EKirchdorfer BMedich DTietze MHull THammel J. A randomized multicenter trial to compare long-term functional outcome, quality of life, and complications of surgical procedures for low rectal cancers. Ann Surg. 2007;246:481-8.
  4. Machado M1,Nygren J,Goldman S, Ljungqvist O. Similar outcome after colonic pouch and side-to-end anastomosis in low anterior resection for rectal cancer: a prospective randomized trial. Ann Surg. 2003;238:214-20.
  5. Doeksen A1,Bakx RVincent Avan Tets WFSprangers MAGerhards MFBemelman WAvan Lanschot JJ. J-pouch vs side-to-end coloanal anastomosis after preoperative radiotherapy and total mesorectal excision for rectal cancer: a multicentre randomized trial. Colorectal Dis. 2012;14:705-13.

Matthiessen P1Hallböök ORutegård JSimert GSjödahl R. Defunctioning stoma reduces symptomatic anastomotic leakage after low anterior resection of the rectum for cancer: a randomized multicenter trial. Ann Surg. 2007;246:207-14.