Complications stomiales apres amputation abdominoperineale.
Michel Prudhomme
INTRODUCTION
Il y a environ 80 000 patients stomisés en France [1], près de 45 000 patients au Royaume Uni ont une stomie terminale [2]. La fréquence des complications chez les patients stomisés varie de 10 à 82 % [2]. La majorité des complications sont d’origine cutanée et sont rapportées par les infirmières stomathérapeutes expliquant cette grande variation de fréquence.
Malgré le progrès des techniques chirurgicales et des soins péri opératoires, la gestion des complications de stomies notamment après amputation abdomino-périnéale reste d’actualité.
Les complications des colostomies terminales peuvent être précoces ou tardives.
A/ LES COMPLICATIONS CHIRURGICALES PRECOCES
1/ Les hémorragies :
Les hémorragies stomiales peuvent être dues à l’irritation de la muqueuse colique ou à une blessure du méso colon ou du pédicule épigastrique lors de la traversée pariétale.
2/ La nécrose :
Lors de l’apparition d’une nécrose stomiale, il est indispensable de connaître son extension en profondeur. Si elle dépasse l’aponévrose des muscles droits une ré intervention est préconisée. Les causes d’ischémie sont une tension excessive sur le mésentère, un patient obèse ou une squelettisation trop importante de l’extrémité distale du colon. Il est indispensable de réaliser un examen journalier de la stomie.
3/ L’abcès péri stomial :
Cet abcès va nécessiter un drainage par une incision dans le champ de l’appareillage, des soins locaux réalisés par les infirmières stomathérapeutes et une antibiothérapie adaptée [3].
4/ La désinsertion partielle ou totale :
Les désinsertions de la stomie sont le plus souvent secondaires à un abcès. En l’absence de nécrose la stomie sera réinsérée.
5/ Les éviscérations :
Les éviscérations à travers l’orifice de la stomie surviennent quand cet orifice musculo-aponévrotique est trop large ou lorsqu’il existe une hyperpression abdominale. Une intervention en urgence est indiquée avec une réintégration et une plastie de l’orifice musculo-aponévrotique.
6/ Les rétractions :
Présentes lors d’une tension excessive sur la stomie, notamment en cas d’iléus ou d’obésité. Il est indispensable de mobiliser suffisamment le colon avec une extériorisation suffisante de la colostomie. Si cette rétraction est précoce, il y a un risque de contamination péritonéale ou de cellulite pariétale.
7/ Les occlusions :
Elles sont le plus souvent consécutives à un obstacle dans la traversée pariétale. Elles sont diagnostiquées par un toucher stomial et la mise en place d’une sonde urinaire qui va entraîner une débâcle de selles liquides [3].
B/ LES COMPLICATIONS CHIRURGICALES TARDIVES
1/ L’éventration péri stomiale (EPS) :
L’EPS est présente chez 30 à 50 % des patients ayant une colostomie terminale. Elle est responsable d’une difficulté d’appareillage, de fuites, de brûlures cutanées et de douleurs péri stomiales. Elle compromet l’irrigation, altère la qualité de vie. Son risque majeur est l’apparition d’une occlusion [1,4].
La prise en charge d’une EPS pose plusieurs questions : quelle indication opératoire ? Quelle technique chirurgicale ? Quelle voie d’abord ? Peut-on utiliser une prothèse en milieu contaminé ? Existe-t-il une prévention efficace contre l’apparition d’une EPS ?
Il y a peu d’évaluation des différentes techniques chirurgicales dans la littérature et le taux de récidive après chirurgie reste élevé [5]. Il est classique de n’opérer que les EPS symptomatiques, cependant près de 1 patient sur 2 porteurs d’une EPS sera opéré [1].
Il existe de multiples techniques opératoires soit par abord direct de la stomie avec myorraphie des muscles Droits, soit par une transposition de stomie, soit la mise en place de prothèse. Il n’existe aucune étude randomisée permettant de comparer les différentes techniques opératoires ou les différentes voies d’abord. La majorité de ces études ont un suivi de 2 ans. La chirurgie des EPS est parfois difficile avec une morbidité en post opératoire importante [6].
L’utilisation de prothèses pariétales est la seule technique qui améliore les résultats avec de faibles taux de récidive. Le bénéfice d’utiliser ces prothèses est nettement supérieur au risque d’infection de prothèse ou d’érosion colique.
De nouveaux matériaux sont récemment apparus. Il faut retenir les prothèses en monofilament de faible grammage et les prothèses partiellement résorbables. Les bioprothèses, bien que prometteuses, sont grevées d’environ 25 % de complications à type de sérome, récidive ou infection ; enfin, leur coût est élevé [7].
Ces prothèses peuvent être positionnées en avant des muscles Droits (onlay), en position rétro musculaire (sublay) ou intra péritonéale (underlay). Si la prothèse est positionnée en intra péritonéal, le colon peut être entouré par la prothèse et avoir un trajet direct jusqu’à la paroi (keyhole) ou il peut avoir un trajet en chicane, recouvert par la prothèse positionnée en intra péritonéal [technique dite de sugarbaker].
Le taux de récidive après une simple suture sans mise en place de prothèse, est d’environ 70 % ; le taux de récidive avec la mise en place d’une prothèse est de 7 à 17 % ; le taux d’infection varie entre 0 et 2.7 % [6]. Les résultats de la voie d’abord laparoscopique seraient similaires à ceux de la laparotomie. L’utilisation de la technique de Sugarbaker par voie cœlioscopique semble la plus efficace si une voie cœlioscopique est décidée [6]. Cette voie d’abord est grevée de peu de conversions (de 0 à 15 %)et de peu d’infections (environ 2 %) [2].
Existe-t-il une prévention efficace à l’EPS ? La fixation de la stomie à l’aponévrose n’est pas efficace [4]. Il n’existe pas de différence entre une confection transrectale ou pararectale d’une colostomie [8]. L’intérêt du trajet sous péritonéal a été évalué par 7 études non randomisées et 1 méta analyse [9]. Il n’y a aucune étude de niveau de preuve suffisant pour démontrer sa supériorité par rapport à un trajet trans péritonéal ; elle nécessite une mobilisation colique plus importante, elle allonge la durée opératoire, elle est beaucoup plus difficile à réaliser lors d’une laparoscopie.
La mise en place d’une prothèse lors de la confection de la colostomie a été récemment proposée. Trois études randomisées [10-12] et plusieurs méta-analyses [13] ont montré une différence significative d’EPS dans le groupe ayant eu une prothèse par rapport au groupe n’ayant pas eu de prothèse lors de la confection de stomie, alors que les complications septiques étaient extrêmement limitées.
Pour certains, ces prothèses devraient, dès à présent, être systématiquement mises en place lors de la confection d’une colostomie terminale [2].
Une étude randomisée multicentrique évaluant l’efficacité et l’innocuité de ces prothèses lors de la prévention des éventrations péri stomiales (GRECCAR 7) est en cours.
2/ Le prolapsus stomial :
Le prolapsus stomial est plus fréquent après une colostomie latérale mais peut également survenir après une colostomie terminale. Son taux cumulé est d’environ 11.8 % pour les colostomies terminales alors qu’il est près de 25 % pour les colostomies transverses latérales [14]. Il s’agit d’une intussusception du colon qui vient faire protusion au travers de la stomie. Les facteurs de risque sont l’obésité, l’ouverture pariétale trop large, une augmentation de la pression intra abdominale, un excès de longueur colique.
Une simple surveillance avec adaptation de l’appareillage et l’éducation du patient à ce nouvel appareillage est souvent suffisante. En cas de volumineux prolapsus difficilement réductible, du sucre de table peut être appliqué sur le segment prolabé afin de pouvoir le réintégrer par effet osmotique. La chirurgie est indiquée en cas de souffrance du segment prolabé ou si ce prolapsus est très volumineux et constamment extériorisé gênant l’appareillage.
La simple résection du segment prolabé par abord péri stomial donne de bons résultats immédiats mais elle est source de récidive dans près de 60 % des cas [15].
Des techniques par agrafage du segment prolabé pouvant être réalisées sous simple sédation ont été rapportées [16].
3/ Les lésions cutanées :
Les lésions cutanées concernent plus de 2 patient sur 3, elles sont le plus souvent la conséquence d’une mauvaise gestion du soin avec un rythme de changement de l’appareillage inadapté, un emploi de produit irritant ou une découpe du protecteur cutané trop large. Elles peuvent être secondaires à des effluents abondants et agressifs, à une malposition de la stomie, à la rétraction de celle-ci notamment au niveau d’un pli ; enfin, elles sont souvent dues à une complication stomiale.
Ces lésions cutanées sont prises en charge préférentiellement par les infirmières stomathérapeutes et sont souvent négligées par les chirurgiens alors qu’elles sont, pour les patients, la 1ère source de plaintes.
Le traitement consiste à identifier la cause de ces lésions, à adapter l’appareillage et les soins de stomie, à traiter les irritations par des protecteurs cutanés.
La prévention réside en un repérage précis du site de la stomie, une confection rigoureuse de la colostomie ainsi qu’une éducation et un suivi régulier du patient stomisé.
Une de ces lésions cutanées doit être rapidement reconnue : le pyoderma gangrenusum souvent associé à une MICI. La prise en charge de la maladie sous jacente doit être rapidement instaurée, le plus souvent par une corticothérapie par voie générale.
EN CONCLUSION :
Les complications stomiales après amputation abdomino-périnéale sont fréquentes, méconnues du chirurgien digestif.
Lors de l’apparition d’une complication précoce, il faut savoir apprécier si une reprise chirurgicale est nécessaire ou non.
Lors d’une complication tardive telle que l’éventration péri-stomiale et le prolapsus stomial, la difficulté est de poser l’indication opératoire et de choisir le type d’intervention. Pour l’EPS, la mise en place d’une prothèse est indispensable pour diminuer le taux de récidive. La mise en place d’une prothèse lors de la confection de la colostomie terminale diminuerait le risque d’EPS.
Les complications cutanées sont extrêmement fréquentes. L’éducation thérapeutique du patient stomisé a ici toute sa place, notamment grâce aux soins attentifs de l’infirmière stomathérapeute.
Enfin la prise en charge des patients stomisés, notamment lors de l’apparition d’une complication, souligne le rôle essentiel de la collaboration entre l’infirmière stomathérapeute et le chirurgien digestif.
BIBLIOGRAPHIE
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